Un visiteur chercherait en vain le clou du spectacle dans cette petite mécanique, fragile et compliquée, conçue peut-être afin de présenter quelque manœuvre de marine, quelque roulis, les prémices d’une tempête. Ayant perdu le reste du tableau, l’élément joue sa partition seul, avec une application un peu pathétique. Le socle sur lequel il repose évoque la table d’un laboratoire et nous renvoie à une hésitation qui fait la saveur même de l’objet.
Comme le mouvement qu’il produit, ce morceau d’horloge se place sur un fil tendu entre une galerie d’automates et une autre, plus sérieuse, qui nous parle d’histoire des techniques. Entre la saynète et la chaîne de fabrication. Entre la précision du tic-tac et le rugissement des déferlantes.
On voudrait reconnaître dans la facture de cette mécanique l’héritage d’une excellence de l’horlogerie, l’esprit des Lumières, et quelque chose de cet âge d’or du Marais parisien et de ses ateliers d’où sortirent, dès la fin du xviiie siècle, toutes sortes d’artefacts, tableaux vivants, oiseaux chanteurs et autres animauxmachines, produits par un effort collectif pour se divertir à comprendre la nature du vivant. Et c’est en ce qu’il évoque ce double effort que notre mouvement de bateau nous semble digne d’intérêt, résumant avec pertinence la précarité des entreprises de marine, posées en somme sur des flots instables. Incidemment, l’objet parle des climats prêts à tout dérèglement, de leur caractère versatile, et d’un rapport d’échelle à méditer lorsqu’il s’agit de rallier des horizons lointains. Combien de roues dentées sont-elles nécessaires à la bonne marche des océans ? Las du clivage entre une approche scientifique du monde et la volonté de l’habiter poétiquement, ce mouvement de tangage semble nous suggérer d’y vivre avec « mécanie ».
La formule semble hasardeuse. Et pourtant … On raconte que Descartes, père de la théorie de l’animal-machine, engendra aussi une petite fille, Francine, qui mourut, par malheur, à l’âge de 5 ans. Inconsolable, l’homme va trouver quelque ingénieur qui lui fabrique un automate à l’image de sa fille défunte, et qu’il ne quittera plus, l’emportant dans tous ses voyages. Or voilà qu’un capitaine de navire découvre le prodige, lors d’une traversée vers La Haye. Craignant la sorcellerie, le mauvais œil au moins, on précipite Francine par-dessus bord, signant ainsi une lointaine et improbable noce des flots avec les engrenages.
Nicolas Darrot
Notice rédigée pour le Conservatoire National des Art et Métiers. ISBN 2-35545-005-1